Cette attaque du Caire, en décembre, avait déjà relancé en Égypte les appels à durcir la lutte contre les djihadistes dont l’actuel président al-Sissi a fait son cheval de bataille. Dans le Sinaï particulièrement où depuis juillet 2013, dès après la destitution du président Mohamed Morsi, membre de la confrérie crypto wahhabite des Frères musulmans, ont été menées une série d’attaques sanglantes contre les forces de sécurité. Le 25 novembre 2015, soit douze jours après le carnage du Bataclan à Paris, sept personnes dont quatre policiers et deux magistrats, étaient ainsi tuées dans un hôtel du nord Sinaï. L’attentat avait été immédiatement endossé par le groupe Wilayat Sinaï, émanation au Sinaï de l’État islamique. La même entité avait auparavant affirmé avoir placé la bombe qui fit exploser en vol au-dessus du Sinaï, le 31 octobre 2015, un avion transportant 224 touristes russes. Toujours dans le nord du Sinaï, le 9 janvier 2017, dix-sept personnes perdaient encore la vie dans des attentats ou des bombardements de rétorsion…
Maintenant, mais un peu tard, l’état d’urgence est instauré pour une durée de trois mois, cela à trois semaines d’une visite du pape François prévue les 28 et 29 avril. Lors qu’informé des événements ce dimanche des Rameaux, celui-ci s’adressant place St Pierre à la foule des fidèles eut cette phrase hautement éloquente : « Que le Seigneur convertisse le cœur de ceux qui sèment la terreur, la violence et la mort, et aussi le cœur de ceux qui leur fournissent leurs armes et commercent avec eux ». Nul n’est nommément désigné mais nombreux sont ceux qui sont concernés en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, aux États-Unis et singulièrement en Israël.
En fait l’état d’urgence décret par le maréchal Fattah al-Sissi est principalement destiné à être une mesure plus symbolique qu’autre chose… parce que sans portée réelle face à la multiplication des métastases salafo-wahhabites à travers le Vieux continent et le pourtour méditerranéen. Daech, retranché en Syrie et en Irak dans ses sanctuaires d’Irak et de Syrie qui fondent comme peau de chagrin, prospère désormais dans le Caucase et en Asie centrale, dans la Bande sahélienne et le Golfe de Guinée, au Maghreb… voire plus épisodiquement au cœur même des métropoles du Vieux continent : Paris, Nice, Berlin, Moscou, Londres, Saint-Pétersbourg, Stockholm en sont de bonnes illustrations !
Or au-delà d’un bilan humain sévère, le dernier double attentat souligne l’incapacité des autorités égyptiennes à contenir la poussée islamiste sur son propre sol autant qu’à protéger sa communauté copte. Celle-ci représente pourtant quelque dix pour cent des 92 millions d’Égyptiens et fait depuis quelques années l’objet de persécutions de plus en plus odieuses [2] et ce, spécialement depuis 2011 et les Printemps arabes, ces révolutions programmées en sous-main par Washington.
Washington où le président Donald Trump a condamné l’attentat via son compte Twitter, se disant « confiant dans la capacité du président [al-Sissi] à gérer la situation comme il se doit ». Ce qui ne manque pas de sel sachant que deux jours auparavant Trump faisait bombarder dans la province de Homs la base aérienne gouvernementale d’al-Chaayrate de l’Armée syrienne arabe, cet ultime rempart laïc contre l’épuration des communautés chrétiennes du Levant… Ou ce qu’il en reste parce que, comme en Irak depuis les guerres occidentalistes et pro démocratiques de 1991 et 2003, les chrétiens ont fui un pays en proie à une violence endémique devenue en grande partie interconfessionnelle après 2004. Du coup, la population chrétienne d’Irak aurait diminué des deux tiers, passant de 700 000 en 1990 à moins de deux cent mille aujourd’hui. En Égypte ce serait près de 1,5 million de Coptes qui de la même façon auraient émigré vers les États-Unis ou le Canada. Une hémorragie humaine qui prévaut aussi au Liban et en Palestine pour les raisons que l’on sait… la guerre perpétuelle livrée par l’État hébreu à ses voisins arabes.
« Lorsque, il y a un demi-siècle de cela, Paul VI se rendit à Jérusalem – il fut le premier pape de l’histoire à le faire – les Lieux saints de la ville se trouvaient presque tous sur le territoire du royaume de Jordanie. Il en était de même pour une grande partie de la Judée et de la vallée du Jourdain. Les chrétiens étaient nombreux et, dans certaines localités, comme à Bethléem, ils étaient en nette majorité. Mais la géopolitique du Moyen-Orient a été complètement modifiée. Il n’y a pas de paix entre les Israéliens et les Palestiniens. Le Liban a été déchiré par une guerre civile. La Syrie est en train de s’effondrer. L’Irak est dévasté. L’Égypte explose. Des millions de réfugiés se sauvent d’une région à l’autre »… Dixit Pietro Parolin, Secrétaire d’État au St Siège in « Avvenire » 9 février 2014.
Alors que l’islamo-kémaliste Recep Tayyip Erdogan entend mettre ses pas dans ceux du tombeur de Constantinople, Mehmet II al-Fatih, qui après la chute de la cité, le 29 mai 1453, était allé prier dans la basilique Sainte-Sophie (devenue en musée depuis 1934), en s’y rendant à son tour. Ceci afin d’y faire lui aussi ses dévotions deux jours avant le référendum plébiscitaire, lequel, le jour de Pâques, devrait lui conférer les quasi pleins pouvoirs. Il est bon de rappeler à cette occasion que les crimes et les persécutions qui affligent les chrétiens d’Orient, s’inscrivent résolument dans la longue durée et plus près de nous dans l’histoire de l’Orient au crépuscule de l’Empire ottoman. Que le génocide à bas bruit qui se déroule sous nos yeux – et le mot génocide n’a rien de vraiment exagéré – connaît une forte accélération depuis la fin du XIXe Siècle d’abord avec les massacres des Arméniens entre 1895 et 1896, puis leur génocide proprement dit entre 1915 et 1917. Enfin avec poursuite de cette politique d’épuration ethno-confessionnelle que conduisent les Jeunes Turcs que Kémal Pacha dit Atatürk va parachever par la liquidation des dernières communautés chrétiennes d’Anatolie et de Thrace, soit au bout du compte plus de deux millions de morts avérées… Cela avant et après le Traité de Lausanne de juillet 1923 avec la complicité passive des puissances occidentales.
En conséquence de quoi, avec le recul historique force nous est de repenser le Grand Génocide des Arméniens et le massacre extensif des Chrétiens d’Anatolie par la République kémaliste dans une perspective plus large inscrit dans une tendance de plus venant du fond de l’histoire. Mouvement délétère qui s’accentue ses deux derniers siècles et mène à l’effacement (la disparition) inéluctable des Chrétientés d’Orient.
L’épuration ethnique et les massacres génocidaires des chrétiens d’Orient dans l’histoire
Force est maintenant d’admettre que les salafo-wahhabites, terroristes takfiristes et djihadistes, sont les dignes descendants des sicaires et autres zélotes fanatiques qui s’employèrent dès la naissance du christianisme à l’éradiquer. Un phénomène bien antérieur à l’islam qui ne s’est jamais démenti à travers les siècles sauf peut-être entre le IXe et le XIe siècle, à l’âge d’or des califes des Abbassides qui connut son apogée sous Hâroun ar-Rachîd dont les liens diplomatiques avec Charlemagne sont de notoriété publique.
Pour revenir à l’origine des politiques de haine et de persécution des Chrétiens, l’historien grec Dion Cassius, qui fut un fonctionnaire romain, décrivit comment au cours de l’année 116 après J.C, les tribus juives des provinces orientales de l’Empire s’étant soulevées commencèrent à exterminer différents peuples chrétiens et païens au sein desquels elles vivaient. L’un des massacres les plus mémorables fut perpétré à Cyrène, c’est-à-dire en Cyrénaïque, partie orientale de l’actuelle Lybie. Mais aussi à Chypre où l’hécatombe fut conduite par le Judéen Artémion et en particulier en 117 dans la cité de Salamine. Tragédie que rapporte également l’historien Eusèbe de Césarée [3] dans son œuvre hagiographique. L’Empereur Trajan (53-117) envoya des troupes pour faire cesser l’effusion de sang. Dion Cassius nous raconte les exactions sanguinaires des rebelles [4]. Mais les actes les plus barbares eurent sans doute, d’après Dion Cassius, l’Égypte pour théâtre [5].
En 517 les Juifs dirigés par Joseph (Jusuf) Mashrak Dhu Nuwas s’emparèrent du pouvoir dans le nord d’Himyar en Arabie du sud et commencèrent tout de suite à exterminer chrétiens et païens. Une armée alliée de Byzance, de l’Arabie et d’Aksoum en Éthiopie, parvint en mai 525 à défaire Dhu Nuwas qui fut illico expédié ad patres [6].
« Zor’a fut proclamé et on l’investit du gouvernement du Yémen. Il monta sur le trône, et l’armée le reconnu. Il professa le judaïsme, et on lui donna le surnom de Dsou-Nowâs. Il fut le plus respecté de tous les rois du Yémen. Il prit le nom de Youssouf et régna un grand nombre d’années, réunissant dans sa main le pouvoir du Yémen et de l’Himyar, qui passa ensuite aux Abyssins. Ce fut lui qui fit une expédition contre Nadjrân, dont les habitants étaient tous chrétiens et suivaient la religion de Jésus. Il vint les appeler au judaïsme ; mais ils refusèrent. Dsou-Nowâs fit creuser dans la terre une longue excavation, comme un fossé, y fit allumer un feu et y fit précipiter tous ceux qui ne voulurent pas embrasser le judaïsme » [7] .
En 610 les Juifs d’Antioche attaquèrent leurs voisins Chrétiens et exterminèrent tous ceux qu’ils purent attraper et brûlèrent leurs corps en oblation à leur divinité. Ainsi le grand Patriarche Anastase périt dans des tourments abominables selon l’historien judéen Heinrich Graetz (1817-1891) [8].
En 614, les Juifs de Palestine, alliés à leur coreligionnaire de Babylone, prêtèrent assistance aux Perses dans leur conquête de la Terre Sainte. Vingt six mille Juifs sont réputés avoir participé au carnage. Après la victoire des Perses, les Juifs perpétrèrent un holocauste de masse sur les chrétiens de Palestine. Ils brûlèrent les églises et les monastères, tuèrent les moines et les prêtres. Peu d’églises réchappèrent à cette furie destructrice. Les chrétiens furent vendus au plus offrant. Ceux qui étaient rassemblés dans le réservoir de Mamilla, neuf mille, furent vendus aux Juifs qui les égorgèrent sur le champ.
Témoin oculaire, Strategius de Saint-Sabas nous donne un compte rendu plus précis : « Les Juifs ont payé une grasse rançon aux soldats perses pour s’emparer des Chrétiens et les ont massacrés avec délectation au réservoir de Mamilla qui débordait de sang »… L’écrivain Israël Shamir nous dit « Rien qu’à Jérusalem, les Juifs ont massacré 60 000 chrétiens palestiniens. A l’époque, la Terre ne comptait probablement que quelque 50 millions d’habitants, soit 100 fois moins qu’aujourd’hui. Quelques jours plus tard, ayant compris l’ampleur du massacre, les soldats perses ont empêché les Juifs de poursuivre leurs exactions… L’holocauste des Palestiniens chrétiens de 614 a fait l’objet d’une volumineuse documentation. Il est [notamment] décrit dans des ouvrages anciens comme les trois volume de l’Histoire des Croisades de Runciman [9] ».
La spirale du temps se déploie inexorablement, l’histoire se répète inlassable, or nous pourrions vouloir et espérer arrêter la machine de mort qui progresse sous nos yeux. Mais parviendrons-nous seulement à nous sauver nous-mêmes alors les chrétiens d’Orient nous montrent le chemin de désolation qu’ils ont dû emprunter, route de misère qui s’ouvre devant nous et que pourtant nous avons grand peine à discerner afin de nous en écarter ?
Léon Camus 10 avril 2017